Fusion, rien ne se perd mais tout se transforme ? Pas si sûr… La fusion-absorption d'un établissement est sans effet sur la représentativité d'un syndicat, au moins jusqu'au terme du cycle électoral en cours…
En découle qu'au cours du même cycle électoral, le syndicat représentatif dans un établissement ne le deviendra pas, du fait de la fusion, dans d'autres établissements.
FUSION ET REPRESENTATIVITE...
A propos de Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 17 janvier 2024, 22-24.687, Inédit
https://www.legifrance.gouv.fr/juri...
Et de :
Cass., soc., 5 janvier 2022, n°21-13.141
https://www.legifrance.gouv.fr/juri...
Liminaire juridique :
En application de l'article L. 1224-1 du Code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par fusion et absorption d'une entreprise par une autre, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre l'entreprise absorbante et le personnel de l'entreprise absorbée (mécanisme légal de transfert automatique des contrats de travail auprès du nouvel employeur).
Dans un tel cas, le mandat du ou des délégués syndicaux de l'entreprise absorbée sont également transférés lorsque cette entreprise conserve son autonomie (article L. 2143-10 du Code du travail).
Si tel n'est pas le cas, le mandat tombe au moment du transfert d'entreprise.
Des "histoires" proches pour des logiques impitoyables...
2022 : A la suite de l'absorption d'un établissement par un autre de la même entreprise, un syndicat a procédé à la désignation d'un délégué syndical dans un autre établissement à l'issue de la fusion alors même qu'il n'y était précédemment pas représentatif. Selon son raisonnement, il pouvait valablement considérer que l'extension du périmètre de l'établissement entraînait de plein droit l'extension de son champ de représentativité.
Sauf que la direction de la société ayant une autre analyse de la situation a saisi le juge judiciaire en contestation de cette désignation. Le syndicat n'étant pas représentatif dans l'établissement absorbé, il ne devrait pas pouvoir désigner un délégué syndical au sein de l'absorbé sur le seul motif de la fusion. ..
Une analyse déjà vue de la Cour de cassation...
Ayant vu sa désignation annulée par les juges du fond, le syndicat a formé un pourvoi en cassation. Il a également déclenché la procédure de Question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Il a demandé la saisine du Conseil constitutionnel sur l'interprétation faite par la Cour de cassation des articles relatifs aux prérogatives conférées aux syndicats représentatifs dans l'entreprise. Le syndicat considère en effet que cette lecture des articles a pour effet d'enfermer la représentativité sur un périmètre donné au cours d'un cycle électoral et ce, indépendamment de l'évolution de ce même périmètre. Au terme de son analyse il s'interroger sur l'inconstitutionnalité de l'interprétation en ce qu'elle porterait atteinte à la liberté syndicale ainsi qu'au droit à la participation des salariés.
Dans une décision en date du 16 juin 2021, considérant la question dépourvue de caractère sérieux… dont acte, le processus judiciaire a suivi son cours.
C'est sans surprise qu'après un rejet de la demande QPC, la Cour de cassation rejette le pourvoi du syndicat. Venant préciser sa jurisprudence antérieure elle dispose que la représentativité des organisations syndicales est établie pour toute la durée du cycle électoral y compris en cas de modification du périmètre de l'entreprise.
2024 : Dans la seconde affaire, "re-belote" : un salarié est désigné délégué syndical (DS) au sein d'une première société suite aux élections professionnelles organisées dans cette société.
À la suite d'une fusion-absorption avec transfert automatique des contrats de travail, la société absorbée perd son autonomie, ce qui fait perdre son mandat au délégué syndical (DS) qui avait été désigné.
Là, sans s'en compter, un syndicat décide alors de désigner à nouveau le salarié en tant que DS, par courrier adressé à l'entreprise d'accueil.
L'employeur saisit le Tribunal judiciaire en annulation de cette désignation, au motif que le syndicat n'est pas représentatif au sein de la société qui a absorbé la première.
La Cour de cassation confirme le jugement du Tribunal judiciaire en ce qu'il a annulé la désignation du délégué syndical, retenant qu'il n'était pas contesté qu'à la suite de la fusion-absorption, la société absorbée n'avait pas conservé son autonomie, ce qui avait eu pour conséquence la fin du mandat.
Eclairage, en "clair - obscur", mais à la loupe !
2022 : Cette décision s'inscrit dans le sillage d'une volonté jurisprudentielle de figer la représentativité syndicale au cours d'un cycle électoral. Initialement, la jurisprudence avait pourtant pris le soin de préciser que la représentativité était figée au cours d'un même cycle pour un périmètre donné. Peut-être avait envisagée le risque d'inconstitutionnalité d'une position empêchant une remise en cause dans l'absolue ? Quoi qu'il en soit, la Cour est revenue sur ce point depuis 2014 et a supprimé cette mention du « périmètre donné ». Aussi, l'action du syndicat en 2022, s'inscrivant dans une tendance inverse de celle jurisprudentielle ne pouvait vraisemblablement pas s'attendre à obtenir gain de cause.
2024 : le syndicat ne pouvait pas se prévaloir des 10 % des voix obtenues aux élections organisées avant la fusion-absorption.
l'arrêt du 17 janvier 2024 posait toutefois avec acuité que la solution retenue pouvait être différente lorsque le syndicat est représentatif dans l'entreprise d'accueil comme dans l'entreprise d'origine.
Le syndicat aurait pu faire dans ce cas de l'article L. 2143-3 alinéa 2 du Code du travail : les "travailleurs transférés représentés avant le transfert doivent continuer d'être représentés durant la période nécessaire à une nouvelle formation ou désignation de la représentation des travailleurs" (art. 6 §1 de la directive européenne précitée), un syndicat représentatif dans l'entreprise d'accueil peut se prévoir de ce texte pour désigner l'un des salariés transférés au sein de l'entreprise d'accueil.
Un positionnement des juges tout aussi attendu que souhaitable...
Il est important de rappeler pourquoi ce positionnement des juges était tout aussi attendu que souhaitable. L'objet de ce positionnement jurisprudentiel est la protection de la volonté des travailleurs exprimée lors des élections professionnelles. Certes, il y a bien dans cette circonstance fusion entre deux entités afin qu'il n'y ait plus qu'un seul périmètre.
Si les juges avaient fait droit à la demande du syndicat de la jurisprudence de 2022, cela reviendrait à faire prévaloir certains intérêts au détriment d'autres :
- si l'employeur pouvait modifier le périmètre d'une société sans respect du cycle électoral, il pourrait rendre nulle chaque élection professionnelle qui ne lui conviendrait pas par la création d'entités, fusion etc.,
- la volonté exprimée des salariés de l'établissement absorbant primerait sur celui des salariés absorbés si l'on étendait le seul résultat des élections antérieurs du premier établissement sans prise en considération du second.
Cette analyse des juges demeure en 2025 un compromis.
A suivre...
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